Nos démons

Nos démons.


  Dans le train depuis Vienne en direction de
Sibiu en Roumanie je fixe horizons et alentours à la recherche du beau . Contre
mon regard tape l’image d’une usine dont je ne connais le nom, je m’y rendrai .
Mais qui est elle ? Il s’agit de l’usine de Copşa Mică ,  le village
noir de Transylvanie .

  À nouvelle compagnie  nouvelle approche , celle du grand format ,
celle de la vision dépolie qui vous laisse entrevoir la vérité au grès de
quelques minutes, ce qui devient élégant à l’instant de la mise au point n’est
pas l’idée d’une image future, mais de sa patiente recherche sur le verre, la
mise en apesanteur du temps éprouvant des milliers d’images qui clique en néon
sur la toile épileptique à l’attention de nos yeux gloutons. On perd un tant
soit peu sa frustration de ne pouvoir se hisser aux techniques du peintre, on
joue alors avec une autre palette d’émotion . À ce moment-là l’usine prend sa
pause et impute à sa stature tout au long des réglages ses géhennes . On
pourrait y trouver une ressemblance à prendre en photo la dame passagère des
rues et chambres de passe , se cacher de la laide vérité pour n’y voir que de
l’art, cette fumeuse excuse pour ne pas voir le pervers : l’Homme et son
sens du sublime. Quelle laideur ce démon,  cet assoiffé d’image, du tordu,
est-ce pour se mettre en avant ? De soi, des autres ? Se caresser
l’ego et cadrer son profil . Je me certifie de la chose, dans ma
frustration, à ne pas avoir été là à la fin du dernier siècle pour capturer ces
émanations qui couvraient d’un voile noir le tout Copşa Mică.  Ou peut-être un
peu plus tôt avant que la grande sœur des cheminées ne vienne rehausser
son nuage.  Au regard du documentaire «  Die Schwartze Stadt  »
je m’imagine sur place et l’image que pourrait donner cette boue de touché et
d’horizon calquant le blanc brodé du châle en couronne des ancêtres ;
blanc , tellement blanc, trébuchant sur l’idée qu’il à été voulu ce blanc pour
les besoins vidéo. Mais à bien y penser, non. Il est le seul qui lui permette
de se rappeler que toutes ces ombres au tableau ne sont qu’une obligation pour
gagner sa croûte et que la fatalité d’être là n’est pas une peine. Le tout est
d’y trouver une fierté , celle de produire le lourd métal qui pollue ces
terres, ces enfants et leurs entrailles mais qui contre bonne paye nourrit
son pays. Je retourne à moi, possédé d’être venu là pour-soi disant capturer
sous la beauté la laideur capitaliste. Cette usine nationalisée, dédiée à
fournir la matière première des courroies qui tourneront les roues structurées
de cette même essence ; ces tonnes de pluies acides , sulfurique , ces
tonnes de plomb, cadmium et zinc, ces tonnes de terre brûlées aux collines
avoisinantes.

   Elle est jumelée avec l’ Hermitage ,
mais sa pendante est peut-être celle de Gardanne, et ce même si sa cheminée
n’est que pour le thermodynamique et ses boues rouge pour une autre garde
.  On se demande souvent comment s’en sortir, de cette condition , celle
de produire et générer , comment réaliser le lien entre  environnement,
urbanisme, technologie, avancée médicale, consommation réfléchie ; comment
tuer dans l’œuf nos désirs superflus. 

   Ici comme ailleurs les gens deviennent
fiers de leurs forges à malheur. Ériger en fierté le labeur qui détruit la terre et les corps frêles de ses enfants. Ces gens-là n’ont pas le choix et
cultivent à défaut de condiment la fierté d’être là et d’ici ! …2000 Lei,
ce n’est pas rien .


qui a tué Tunis


Qui a tué Tunis.


 Ou qui a tué la vision que j’en ai eue , car
présomptueusement cela voudrait signifier que j’ai bien connu la belle Tunis.
Mais ce que j’ai vu pendant cinq jours n’est pas l’égal de la vision d’autrui
ni celle que je percevrai demain ; cela ajouté à mes mots trop pauvres pour
retranscrire ce que j’ai pu ressentir  au
travers de mes origines, états , de par mes sens au grès de faits , de
rencontres , et de hasards . À se demander même quelle vérité la plume tenue
est en droit de revendiquer .

Béton mon cher béton , tu ne m’as laissé que quelques
palmiers en ruine. L’eau ne s’écoule même plus et stagne comme tache d’encre
sur tes reins solides. Pourvu de patch de carton emplâtré sur ton bitume en
guise de nuance .Tu ruisselles  à merveille la sueur de nos
caoutchoucs  circulant , nous projetant ses teintes sur nos bas de caisse
comme si nous ne faisions plus qu’un ma chère bitumée, quelle déesse fais-tu .

Je crois qu’en ce jour j’ai peut-être un aperçu de ces
attentes d’homme au café. J’ai pris une de ces rues aussi peu attractives que
possible  et un café aussi hasardeux que bleu , j’y est pris un café,
piquant et grimaçant, aromatisé d’âpre vétusté, j’ai pris une chaise face à la
sortie et à droite de mon voisin, tous les deux parallèles et face à la vérité
du dehors, contemplant Bitumés et habitués passants. Il ne faisait rien , pas
plus que moi ni les autres, quelques dizaines de minutes plus tard j’y ai vu
quelque chose, le temps qui passe et l’espoir d’y voir passer autre chose
s’amenuisant . Il n’y a d’autre pression que celle de l’expresso , le verre
vide s’enracine. Il est donc là le déroulement , celui pour qui ne compte même pas le dénouement. Je suis ressorti sous le poids voûte de trace ottomane et
édifices de  pères colons. Les larges hanches de pierres soutiennent les
rehausses de briques empilées cloisonnant certaines cours perdues d’où
ressurgit comme d’une pièce de théâtre le foisonnement du temps consacré à
Médina . Je pense être nostalgique de mon imagination. Des souks de senteurs
diffusent. Je m’accroche au passage à un paquet de café fraîchement moulu que
je garde au nez tout en fermant les yeux au milieu de cette amazone de
bibelots.

Tu la sens l’amertume, le doux caprice des grues
balayant les nuages calaminés, ces murs de taille, pierre délaissée comme
mendiant de Carthage. Trop pesante face à l’habit léger de tes sœurs rouge de
Kef.

 Sur le trajet pour Marsa l’image se superpose à
celle des voies ferrées du Caire, la peur d’y voir un futur Tunisien me hante.
Je n’ai rien vraiment lu sur la Marsa avant ma descente du train, mais je
connais ma direction , celle de Kobbet el haou, persuadé qu’elle ne pourrait
décevoir le cliché d’un vieux négatif. Le manque de plage de gris à mon arrivée
me fit patienter à l’étage d’un café non loin du bord de la plage . En entrant,
une petite liane de modernité rampait sur le mobilier vintage, comme quoi la
modernité n’est en rien une nouveauté . Mes regards se posent sur la
jeunesse métissée, chapeau rond et haut, moulant, Camel de l’autre côté de la méditerranée
retrouvant un nouveau souffle,  étudiant et formule essayant de se paver
un chemin sur l’occident .

En sortant je fis abstraction des emballages et de ces
ronds de jambe qui aiment à danser sur les bords de la méditerranée, il faut
dire que l’Homme est un meneur expert . Sur les pas sablés je m’attarde
derrière une femme et sa chaise blanche fixant le loin, le vague , ou
simplement l’horizon ; à ce moment je n’ai pu m’empêcher d’y voir une
correspondance aux chaises plastiques vertes des hommes attentifs . Au moment
de prendre la photo je n’y vis qu’un moment de détente , puis elle leva le bras
droit et d’un second geste lâcha du bout des doigts un sac plastique …je
n’ai pas pris le cliché. Je n’ai pu que trouver absurde de rester là à
contempler des heures durant et je suppose chaque jour faisant cette mer
porteuse et lui lâcher à la gueule un des prix Nobel du fléau . Quelque peu
résigné je l’ai tout de même pris en photo quelques minutes plus tard me
murmurant qu’à défaut d’être touchante elle n’en serait pas moins graphique.

 Mais j’essaye de garder en moi l’image des yeux de
la belle Tunis car ce nom lui va si bien , je me dis qu’un jour une légende
traversera les mers pour conter les histoires de Promoteur et d’ Élastomère
ruiné par son peuple de retour à ses terres et mers . 


rencontre avec son égo

                                               Portrait de grand-mère

Je viens juste de lire sur mon smartphone l’interview
d’un jeune photographe autour d’un documentaire en centre Afrique. Une forme de
jalousie en rapport à une vie trop hermétique m’agite les efforts de réconforts
. Me vient à l’esprit sans trop pour autant d’aigritude la question sur la part
d’égoïsme et de volonté d’être au milieu d’un tout . Qu’en est-il au regard de
mes diapositives étalées sur la présente table, qu’en est-il sur l’échelle des
reconnaissances, quelle importance cela a-t-il ? 

  Cette visite à cette dame , ma grand-mère , et sa
visite reportée sur vingt-sept ans, vingt-sept années écoulées de belles
phrases repoussées, de souvenirs lissés avec le temps. En arrière-cour aucun
drame familial, tout au plus ce petit retrait français aux relations
familiales, ce petit égocentrisme sculpté par les nécessités et que d’aucun ne
fait le pas à chaque barque qui dérive, oubliant son port d’attache.

 J’ai alors mon café au centre, à gauche sur écran
le portrait d’une jeunesse sur d’elle, conquérante sur le terrain de guerre
perdue et de ses photos colorées de misère, et à droite une silhouette , la
nature morte d’un saladier de mirabelle. Je me demande quel côté est légitime à
représenter l’égoïsme ? Et celui-ci n’est il pas indispensable pour rendre
compte ?

Mais parlons de ces photos, elles sont comme la
démarche, bancale et incomplète, timide et réservée, virée d’un peu de honte,
mal exposée et aléatoirement déclenchée. J’avais pourtant tout prémédité, la
notion de diapositive, un portrait rapproché, une prise de son dédiée et un
concept à l’anthropologie bien cadré. Mais alors le seul plan rapproché que
j’ai eu est celui de cet égoïsme , c’est lui qui m’est apparu en portrait, un vrai modèle à magasine philo. Alors
tout s’est dérouté, les temps de pose, les couleurs, les concepts, il n’en
reste que quelques diapositives et un petit brouillon de café…..Mais une belle
rencontre .

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